Etre ou ne pas être jungien

Etre ou ne pas être jungien

 

Claire Bachelard, Pascale Mauchant-Renoult, Marie-Christine Simon

 

Collège de Psychologie Analytique, psychanalyse jungienne

Nous sommes en 1912. Freud a 56 ans et Jung 37. Freud oeuvre depuis un quart de siècle à l’élaboration et au déploiement de la psychanalyse. Jung échange avec lui depuis 1906.
 Le conflit théorico-clinique couvant à bas bruit depuis leur rencontre explose avec la publication de Métamorphoses de l’âme et ses symboles, suivie de celle, par Freud, de Totem et tabou. La rupture sera définitive, professionnelle et personnelle. L’Ecole de Vienne et l’Ecole de Zürich, comme on les appelle alors, vont poursuivre leurs travaux chacune de leur côté.



 

Le « comité secret » est alors créé autour de Freud, sur une idée de Jones (1). Pour le sceller Freud offre une bague à chaque membre : outre lui, Abraham, Eitingon, Jones, Ferenczi, Rank (qui finira par partir) et Sachs. Il s’agit de défendre et contrôler le devenir de la Psychanalyse, particulièrement contre l’Ecole de Zürich. Freud considère avoir découvert la réalité du fonctionnement psychique et de son analyse dans la cure. Jung a tenté de demeurer fidèle le plus longtemps possible aux conceptualisations de Freud mais l’élaboration de sa propre expérience, personnelle et clinique, l’obligea à s’en écarter, sauf à perdre son intégrité scientifique.



 

34 ans plus tard (2), Jung répond à un correspondant qui aimerait être « jungien » :

 

" Je ne peux qu’espérer que personne ne devienne « jungien ». Je ne défends en effet aucune doctrine, je ne fais que décrire des faits et avancer certaines idées qui me paraissent dignes d’être discutées. Je reproche à la psychologie freudienne son étroitesse, ses préjugés et je désapprouve chez les freudiens leur esprit esclave, sectaire, leur intolérance et leur fanatisme. Je ne prêche aucune doctrine achevée, fermée sur elle-même et j’abhorre les « partisans aveugles ». Je laisse à chacun la liberté de s’occuper à sa manière des faits car je prends moi-même cette liberté. Je suis tout à fait d’accord avec les faits décrits par Freud et avec la méthode qu’il emploie pour traiter ces faits dans la mesure où ils résistent à une analyse critique et ne s’opposent pas au common sense. Mes divergences portent seulement sur l’interprétation de certains faits que Freud a perçus de manière insuffisante."

 

Jung dans cette lettre ne se présente pas comme opposant à la théorie de Freud, bien au contraire. Il en reconnaît la validité tout en s’autorisant à proposer d’autres interprétations de certains faits. En ce sens il s’avère davantage continuateur que dissident et défend autant un droit d’inventaire que celui de poursuivre la recherche et la conceptualisation en fonction de ses propres expériences. 
Ce qu’il critique durement est la fermeture sur elle-même de la psychologie freudienne et celle de ses représentants dévotement attachés à la figure d’un Maître dont il faudrait défendre la pensée comme on le ferait d’une doctrine.

 

Jung a rencontré des patients "grands psychotiques délirants" lorsqu’il exerça en tant que psychiatre au Burghölzli. A un moment, il décida d’écouter les délires, de les accueillir et de se confronter ainsi aux thèmes et symboles sous-jacents. Ce fut une expérience destabilisante et transformatrice pour lui. S’imposa alors à lui l’évidence que l’inconscient est premier, gigantesque réservoir collectif commun à toute l’Humanité et d’où émerge la conscience.



 

La pensée de Jung qui inspire notre pratique analytique est une pensée en mouvement, non dogmatique. Elle évolue avec les élaborations que sa clinique et sa vie personnelle imposent comme expériences. En témoignent notamment les concepts formés puis réévalués, remaniés au fil de son oeuvre, ce qui nécessite une appréhension chronologique des écrits jungiens, pour en suivre la dynamique. 
Mais surtout, l’objectif de la psychanalyse jungienne concerne le processus d’individuation, qui ne se superpose pas à la norme comme référence de société à laquelle se soumettre, mais vise la réalisation de soi, qui constitue une référence individuelle, moins définissable a priori, beaucoup moins prévisible. 

Il s’agit d’un cheminement permanent vers son propre devenir, dans l’instauration d’une relation entre la vie consciente et la vie inconsciente, entre soi et l’autre, dans la réalité interne et externe. Au cours de l’analyse, cela se travaille dans la relation transférentielle, comme creuset d’une intimité partagée.

 

Au sein de la relation transférentielle, l’inconscient est à l’œuvre, dans la commune inconscience, décrite par Jung. L’inconscient de l’analysant comme celui de l’analyste se trouvent  animés par une synergie interactive. Cet état indescriptible d’extrême subjectivité permet une forme de communion d’où peut émerger du sens. C’est un processus symboligène guidé par l’archétype du Soi, qui permet d’accélérer la première phase du travail entre patient et analyste, de la rendre tout à la fois thérapeutique et analytique et cela est uniquement jungien.

 

Exercer le métier de psychanalyste jungien.ne implique d’entretenir une mobilité : être soi-même en mouvement et en mouvement avec l’autre, qu’il s’agisse d’un.e patient.e, des autres analystes, des autres écoles et, nous dirions même, du mouvement du monde. 

Nous estimons pouvoir être « jungiens » et libres à la fois, comme Jung l’a lui-même montré. 

C’est être au fond plus optimiste que pessimiste, voir en chacun la lumière dans l’ombre, repérer pour chaque patient ses ressources, ses talents, les chemins commencés mais empêchés, les moments où il a été le créateur de sa vie…. C’est vivre avec bonheur ces moments avec les patients qui soutiennent notre élan professionnel, personnel aussi.

 

• Lettre de S. Freud du 1er août 1912

• Lettre de C.G. Jung du 14 janvier 1946