Michael Fordham et Erich Neumann

Deux approches du concept de Soi primaire

Michael Fordham est un psychiatre et psychothérapeute anglais (né en 1905 à Kensington 1905 et décédé en1995 à Buckinghamshire)

Erich Neumann est un psychologue et psychothérapeute israélien (né en 1905 à Berlin et décédé en 1960 à Tel Aviv)

 

Mickaël Fordham et Erich Neumann, jungiens l’un et l’autre, partent du postulat platonicien que l’enfant ne naît pas tabula rasa. L’inconscient collectif est activé au même titre que la vie organique. Les compétences du nourrisson sont reconnues et prises en compte mais de façon divergente.

 

Le Soi, tout à la fois transpersonnel et si propre à chacun, est le régulateur surordonné au Moi essentiel à notre être dans toutes nos dimensions existentielles : biologique, psychique, affective, cognitive, relationnelle…etc. Les défenses du Soi interviennent lorsqu’il s’agit de protéger les fonctions vitales du sujet.

 

Selon Fordham, le Soi primaire de l’enfant représente l’organisme entier du sujet. Cela implique tout autant son équipement corporel, sa libido, que ses prédispositions archétypiques. Le Soi primaire est ainsi une totalité biopsychique stable et fermée à l’environnement. Toutes les potentialités y sont incluses dans un état qu’on pourrait qualifier  d’ouroborique. C’est à partir de cette entité que vont devoir s’exprimer peu à peu les différentes composantes du psychisme de l’individu. Pour cela, l’enfant aura besoin de son environnement familial.

Deux termes essentiels définissent pour Fordham le travail de structuration su Soi : dé-intégration et réintégration. Les prédispositions archétypiques du Soi primaire poussent l’enfant à quitter un état intégré pour dé-intégrer sa capacité à répondre de façon idoine à la situation nouvelle. C’est une structure qui sera ensuite réintégrée. Les expériences vécues avec la mère enrichiront peu à peu cette structure au fil des alternances de phases de dé-intégration et de réintégration.

 

Prenons comme exemple la tétée.

Le suçotement est, dans ce cas, la prédisposition archétypique. La dé-intégration constitue alors la rencontre du suçotement avec le sein. La réintégration se traduit par la satiété, l’intériorisation d’une expérience et d’une imago inconsciente nommée « objet-soi ».

Le corps étant inextricablement lié au Soi pour Fordham, la constitution du Moi suit selon lui, les zones corporelles « érogènes » décrites dans la psychanalyse freudienne- on retrouve donc les zones orale, anale phallique, génitale, ainsi que la peau. L’œuvre unificatrice du Soi accompagne le développement infantile. L’émergence des îlots de conscience reliés aux zones érogènes correspondant permet l’élaboration progressive du complexe Moi corrélé au schéma corporel

 

 

Pour Erich Neumann, le Soi primaire est double. Le Soi-corps est lié à l’unité biopsychique de l’enfant, et le Soi relationnel est assumé dans les tout premiers temps de la vie par la mère. En d’autres termes, l’archétype a deux pieds, l’un étant constitué par l’aptitude archétypique, et l’autre par le facteur inscrit dans la réalité et la vie. L’accent porte sur la synergie relationnelle. Erich Neumann décrit un temps de la vie du nourrisson qu’il nomme extra-utérin. C’est l’établissement de la relation archaïque. La participation mystique y est un état d’identité, sans objet ni sujet constitués, sans tensions et sans opposés. La mère représente le monde pour le tout petit. La relation au corps est tout à fait essentielle. Les zones érogènes sont surinvesties dans la mesure où les fonctions corporelles élémentaires font expérimenter à l’enfant les potentialités de son pôle actif par exemple : être porté, caressé, lavé, bercé). L’investissement maternel du vécu corporel de son enfant et du plaisir qui en découle est fondamental. La réussite d’une relation archaïque repose sur la confiance parfaite que peut avoir le Moi dans le Soi grâce à un maternel qui s’est avéré fiable. 

L’enfant ne pourra assumer les fonctions du Soi relationnel qu’à partir de l’âge de dix-huit mois environ. Il aura alors acquis la marche, la conscience d’être un individu et un début de langage lui permettant de communiquer.

 

Le projet du Soi est naturellement de s’ouvrir au monde extérieur grâce à un bon vécu relationnel. Si des conditions de croissance défavorables interviennent, le Soi met en place un système de défenses rigides qui ferme le sujet aux autres. Parmi les facteurs envisageables, citons-en quelques-uns : des perturbations de l’équilibre psychobiologique liés à l’hérédité, de profonds traumatismes, une distorsion dans l’émission et la réception des signaux de la relation précoce mère-enfant ou encore une malformation physique.

 

Le Soi mobilise alors des défenses psychiques qui ont pour but de protéger la vie même du sujet contre une menace de mort. Il ne s’agit pas de protéger un objet interne encore inexistant, mais de conserver ses fonctions vitales. 

 

Selon M.Fordham, les défenses du Soi se mettent en place dans des temps si précoces du développement qu’on peut les comparer aux réactions auto-immunes biologiques. Le Soi produirait des anti-corps contre lui-même, et contre les éventuelles aides extérieures.

 

E.Neumann a longuement étudié la symbolique de l’ourobouros, serpent qui se mord la queue et qui, selon lui, représente l’archétype parental dans son expression la plus archaïque. Dans ce grand rond fermé, les opposés coexistent et toutes les potentialités en devenir sont contenues. Lorsque les défenses du Soi se mettent en place, l’ourobouros demeure hermétiquement fermé et la dynamique de la dyade mère-enfant n’œuvre pas ou que très partiellement. 

La levée, même partielle, des défenses du Soi, passe nécessairement par une redynamisation de la relation archaïque.

 

Les divergences conceptuelles de ces deux auteurs ne s’excluent pas l’une l’autre dans la pratique clinique. Bien au contraire, elles me semblent se compléter.

 

Avec M.Fordham, les compétences innées du nourrisson sont largement mises en avant. Elles permettent de comprendre l’essor, les ressources étonnantes et parfois extraordinaires de certains sujets. Avec E.Neumann, on mesure à quel point l’être humain est le mammifère le moins abouti de la création mais aussi, et peut être en raison de ce caractère inachevé, celui qui va si loin dans l’émergence de la conscience. Pour ce faire, le petit d’Homme a impérativement besoin de l’autre et au premier chef de sa mère pour parfaire son temps de gestation.

 

Pascale Mauchant-Renoult

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Quelques titres 

 

De Michael Fordham

-   « A tribute to D.W.Winicott »,Michael Fordham , The Scientific Bulletin of the British Psychoanalytical Society (1972)

-   « Innovations in Analytical Psychology , Ed. James Astor

-   « Jungian Psychotherapy , a Study in Analytical Psychology », Maresfield Library 

-   « Freud,Jung,Klein-The Fenceless Field : Essays on Psychoanalysis and Analytical Psychology, Ed Roger Hobdell

-   « The Life of Chilhood », (1944)

-    « New Developments in Analytical Psychology », (1957)

-    «  The Self and Autism », ( 1976)

 

De Erich Neumann

-   « The Great Mother : An Analysis of the Archetype », 2015

-   «  Origines et histoire de la conscience »

-   «  Amor et Psyche », (1956)