Un bref aperçu de la méthode du Dialogue intérieur d’Hal et Sidra Stone

Collège de Psychologie Analytique, psychanalyse jungienne

En référence à la conception jungienne d’une psyché plurielle et en mosaïque, la méthode du Dialogue intérieur vise à faire émerger les différentes parties qui composent notre monde interne. Chacun peut ainsi commencer un processus du Dialogue intérieur dans la perspective d’une meilleure adaptation de son rapport aux circonstances de la vie ou bien à partir du souhait d’une connaissance plus approfondie de lui-même. Il est toutefois important que le Moi du bénéficiaire de ces séances puisse être en mesure d’accueillir des parts inconnues en lui, sans pour autant se laisser déborder par elles, voire de les éviter principalement en raison du danger ressenti de la dissociation. C’est pourquoi il peut être nécessaire, avant de proposer des séances de Dialogue intérieur, d’en passer par une thérapie de soutien, contenante et sécurisante, visant à ralentir la vague déferlante des émotions ou encore à réduire le brouhaha incessant des pensées. 

Dans cette méthode, on appelle « facilité » toute personne qui entre dans un processus de Dialogue intérieur. On dit que le facilité reçoit des séances par un « faciliteur » ou « facilitateur » selon les usages, qui, lui, donne, en retour, des séances de Dialogue intérieur. Il y a dans ce don, une action du faciliteur sur le facilité, en ce sens que ce premier offre au second la possibilité de faire émerger ses multiples aspects intérieurs dans un espace favorisant un élargissement de la conscience de son Moi. Cette dynamique s’appelle « processus de l’Ego conscient », un processus par lequel le facilité embrasse en lui-même ses ambivalences, ses vulnérabilités, ses opposés conscients et inconscients pour en faire des points d’appui en lieu et place de trop grandes tensions intérieures. 

Nous verrons plus loin en détail la manière avec laquelle se fait ce travail, mais je peux déjà dire, afin de rendre clair le principe de la thérapie, que le faciliteur agit pour permettre la personnification des tendances conscientes et inconscientes du facilité. La règle en séance est que toute expression doit se manifester sous la forme de personnages : une résistance, une défense, une émotion, tout doit être personnifié par le facilité avec le soutien de faciliteur, ce qui, de l’extérieur, laisse entrevoir une forme de jeu scénique. D’ailleurs, les concepteurs de la méthode, Hal et Sidra Stone, dès 1972, avaient emprunté des éléments techniques à leur pratique du psychodrame. 

Je me centrerai ici sur l’illustration du processus de métamorphose de l’âme à travers cette méthode que l’on appelle aussi Voice Dialogue. 

 

Voyons d’abord ensemble un peu de théorie et quelques règles de facilitation. 

Notre psyché est composée de différentes tendances qui, dans le Dialogue intérieur, prennent le nom de « sub-personnalités ». Ces aspects fragmentés et épars sont parfois « isolés » au sein de la psyché, ou alors ils font partie d’un même groupe, d’une même « équipe » - autre terme en usage dans le monde du Dialogue, dont les membres partagent souvent des objectifs communs, sans pour autant être toujours en lien avec les autres sub-personnalités des autres équipes en nous. Or le but de la thérapeutique est que, au sein d’une personnalité globale, ces sub-personnalités arrivent à se parler et se connaître afin de limiter l’unitéralité et la répétition de leurs fonctionnements. Dans cette idée, il s’agit aussi d’accueillir ces parts intérieures, celles dont nous avons plus ou moins conscience, ou encore celles que nous ignorons totalement, voire que nous rejetons : celles qui parlent fort en public, celles qui demeurent en silence, celles qui structurent, anticipent, qui sont préoccupées, épuisées, qui prennent du plaisir, qui font des projets, etc…

L’hypothèse de départ de la méthode n’est pas très originale : la plupart de nos fonctionnements ont vu le jour dans notre prime enfance. A l’âge adulte, ils se comportent de manière autonome au sein de notre psyché et nous animent à notre insu. Dans cette vision, chaque enfant, par nécessité de se protéger de ses blessures fondamentales et pour s’adapter aux demandes en provenance de son environnement, pour traverser aussi des évènements de vie marquants, a dû se forger des attitudes et mettre en place des modes spécifiques de relation aux autres. Ici, nos schémas récurrents remontent à ce passé lointain, barrant l’accès à nos ressources en tant qu’adulte. Voici quelques exemples de ces modes de fonctionnements qui furent à un moment donné indispensables pour survivre psychiquement : être méfiant, se faire rejeter par les autres, se mettre en échec, avoir une carapace, contrôler tout, faire le gentil garçon, porter sur son dos, agir sans cesse, être rebelle, attirer l’attention sur soi, avoir peur de faire du mal aux autres, etc…Il y en aurait bien d’autres.

Une règle est de ne jamais commencer par inviter le personnage du Critique intérieur, héritage des conditionnements familiaux, qui, bien souvent a pour fonction de protéger de ses blessures profondes l’enfant qui est dans l’adulte. Son apparition, sur un terrain psychique non préparé, c’est-à-dire assoupli par les séances passées en compagnie des personnages dit primaires, peut fortement déstabiliser le Moi qui a d’abord besoin de se rattacher à du connu. De même, on ne commence jamais par les parties dites reniées, ou encore par celles qui constituent des opposés au regard de nos personnages principaux. S’ils peuvent, à la faveur de la thérapie, émerger très vite, ils ne pourront cependant être intégrés sur le champ, trop menaçants qu’ils seront pour nos personnages habituels. C’est en fréquentant ses personnages primaires que ceux-ci vont lentement se dépolariser pour ensuite faire place à leur tendance opposée. 

 

Je vous propose à présent de décrire le processus.

 

A l’écoute du facilité, le facilitateur va convoquer, à travers ce qu’il perçoit des tendances qui frappent à la porte, et avec l’accord du facilité, un des protagonistes qui semble agir dans la problématique actuelle. Dès lors, le but du facilitateur est de permettre au facilité de rester dans l’énergie qui se présente. Il faut entendre par énergie, l’ensemble du complexe idéo-affectif qui s’exprime par la voie d’un personnage. Pour se faire, le faciliteur va demander au facilité, assis face à lui, de quitter sa place et de choisir, dans une partie de la pièce de facilitation, l’endroit qu’il ferait occuper à cette énergie. Cette première décentration du « sujet », va lui permettre d’incarner davantage cette part de lui, comme dans un rôle, au théâtre. Et c’est là qu’opère le travail : à partir du moment où le facilité n’est plus que ce personnage, alors se produit la réouverture des canaux mnésiques en lien avec celui-ci. Peu à peu, le personnage, dans sa singularité, prend vie sous les yeux du faciliteur, son histoire se dessine, son utilité passée s’actualise, sa désuétude se confirme, ses liens avec d’autres personnages apparaissent.  A partir de là, le faciliteur se laissera guider, par la résonnance affective que ce personnage produit en lui. Ce dernier va réveiller en effet un aspect similaire et c’est dans cette connaissance intérieure que le facilitateur va puiser dans le but d’être en phase avec le personnage qui apparait. C’est un exercice délicat qui repose sur la capacité du facilitateur de s’être soumis à ce processus, mais dont l’importance est cruciale : un facilitateur ne pourra faciliter un personnage, s’il le juge ou bien s’il l’oriente vers autre chose que ce qu’il est.  On dit en dialogue intérieur qu’il s’agit de « tenir l’énergie » du personnage. Par cet art de la canalisation, c’est au faciliteur de veiller que le personnage du facilité ne soit pas parasité par les autres aspects de la personnalité plus large du facilité.

Au cours du processus, les personnages primaires se dégagent d’une matière psychique confuse, le facilité prend conscience de ses différentes facettes, ralentit les auto-jugements au regard de ses attitudes ; petit à petit, d’autres personnages apparaissent, de moins en moins étrangers à lui-même. Au début du processus, on se rend compte que les personnages primaires constituent bien souvent des défenses face à d’autres aspects, plus vulnérables, en chacun. 

Au sein de tous ces personnages, l’ombre est partout.  Il y a de l’ombre, bien sûr dans les parts reniées, mais la méconnaissance des personnages primaires est également de l’ombre. 

Vu de l’extérieur, on pourrait penser que le facilité se replierait dans son ipséité, dans le cadre d’une pratique exempte de toute relation thérapeutique avec le faciliteur. Or il n’en est rien : la pratique du Dialogue intérieur s’appuie non seulement sur la dynamique des personnages propres au facilité, mais également en écho à ceux qui constituent le faciliteur. C’est ainsi que d’un faciliteur à un autre, on observera des différences dans la mise en scène des scénarios relationnels. Cette mise en scène peut être toutefois soumise à une forme d’hystérisation, qui doit être prise en compte par le faciliteur dans le but de reconduire le facilité vers son authenticité.  

Cependant, l’intégration des différentes facettes de soi, dans la méthode du dialogue intérieur, ne passe pas par l’analyse de la dynamique transféro-contretranférentielle.  Cette intégration est rendue possible par l’incarnation des personnages et par la technique dite de la « vision lucide », moment où le faciliteur résume au facilité l’ensemble du scénario qui s’est déployé au cours d’une séance, et qui permettra à ce dernier de repartir avec un éclairage plus grand sur ses multiples aspects intérieurs. 

 

En conclusion

 

Souvent mise en oeuvre dans le milieu du coaching, la méthode, aux accents de cognitivisme, peut permettre de mieux se connaître face à un obstacle, une difficulté, une inquiétude pour savoir qui agit en soi, qui a peur et de quoi par exemple, et ouvrir des ressources jusque-là inutilisées. 

Tous ces différents personnages deviennent une découverte passionnante, qui, loin de nous léser, nous enrichit. 


 Emmanuel Cannou