Eros et Psyché, un mythe, un parcours initiatique

Les mythes et les contes de fées renferment des images, des symboles, des archétypes  qui sont universels.

 

Jung, travailla en tant que psychiatre, auprès de personnes psychotiques et découvrit dans le délire des schizophrènes, des matériaux similaires à ceux qui sont à l’œuvre dans les mythes, les contes ou les religions. Jung écrit à ce propos : « Par la disparition de la fonction du réel dans la schizophrénie,  ce n'est pas une intensification de la sexualité qui apparaît, mais un monde imaginaire portant des traits archaïques évidents »  Les archétypes constituent la structure des images et des symboles qui émergent de l'inconscient collectif. Le psychisme de l'homme n'est pas tabula rasa à la naissance, la conscience va se construire en prenant appui sur l'inconscient qui est premier.Selon Jung, l'être humain « apporte en naissant des systèmes organisés spécifiquement humains et prêts à fonctionner qu'il doit aux millions d'années de l'évolution humaine ».

 

Dans les thérapies d'enfants et d'adolescents, il est fréquent de voir de grandes images mythologiques se déployer dans les dessins,  les mises en scène,les jeux de sable des plus jeunes. Les productions oniriques des adultes suivis en analyse peuvent également receler  des  représentations archétypiques .Le rêveur devra alors faire face à  une épreuve initiatique, ou réaliser une tâche héroïque.

 

J'ai choisi le mythe d'Eros et Psyché. Je me propose d'en présenter un résumé puis d'en dégager la trame essentielle ainsi que quelques grandes lignes interprétatives. Pour finir, quelques cas cliniques permettront d'illustrer comment le processus d'individuation est traversé de matériaux relevant d'un inconscient collectif . Un film de Walt Disney viendra parachever cet ensemble pour témoigner de la vitalité universelle et intemporelle des archétypes tels qu'ils sont exprimés dans ce mythe.

 

Le mythe d'Eros et Psyché

 

Commençons par le récit de ce mythe

(résumé réalisé à partir du récit de ce mythe tel qu'il est relaté dans le livre d'Apulé, «  L'âne d'or ou les métamorphoses ».)

Il y a bien longtemps,vivaient un roi et une reine qui avaient trois filles très belles. La dernière était même plus belle que les astres. Elle s'appelait Psyché. Les humains l'idolâtraient telle une déesse au grand dam d'Aphrodite.Voyant sa renommée en péril, celle-ci convoqua son fils Eros pour l'aider à punir la 

 princesse d'un tel affront. Ce dernier devait la châtier en lui transperçant le cœur d'une flèche qui ne lui apporterait  que peine et tourments. Psyché épouserait ainsi l'homme le plus mauvais qu'elle rencontrerait . En fait, lorsqu'il la vit, Eros tomba éperdument amoureux de la belle princesse et désobéit à sa mère. Il repartit donc sans accomplir la funeste tâche assignée.

Le roi, ne voyant aucun prétendant se présenter, décida de consulter l'oracle. Voici ce qui lui fut répondu : «  Habille Psyché de vêtements funéraires et emmène-la au sommet de la falaise. C'est là que son fiancé viendra la chercher : ce n'est pas un être humain et il sait des choses terribles. » Psyché fut donc accompagnée jusqu'au lieu dit par ses parents et tout le peuple en larmes. 

Alors qu'un gros nuage l'enveloppait , la dissimulant ainsi aux yeux de tous , Zéphyr, le vent d'Ouest la fit descendre dans une vallée enchanteresse et la conduisit à un somptueux palais. Des serviteurs invisibles la comblèrent de biens et mets précieux. Tous ses souhaits furent aussitôt exaucés. Le soir venu, alors qu'elle venait de se coucher, quelqu'un la rejoignit et lui dit : » Je suis ton époux, Psyché. Tu ne manqueras jamais de rien mais tu ne devras jamais voir mon visage. Je ne te rejoindrai donc que le soir et tu ne pourras me parler que dans  l'ombre. » 

 La vie de Psyché se déroula ainsi bienheureuse pendant quelque temps  jusqu'à ce que ses sœurs décident de venir la voir. Eros mit Psyché en garde, arguant des intentions malveillantes de ces dernières et lui défendit expressément de dire la vérité à son sujet. Il permit néanmoins les deux visites qui se succédèrent.

 Lors de la première visite, Psyché mentit à ses sœurs envieuses qui la questionnaient sur l'identité de son mari, de toute évidence, si riche. Elle dit qu'il était jeune et passait ses journées à la chasse. Lors de la deuxième visite, elle évoqua un époux âgé et toujours en voyage .

Hargneuses et folles de jalousie, les deux sœurs avaient compris que Psyché n'avait, en fait, jamais vu le visage de son mari et qu'elle leur avait menti. Elles revinrent donc la voir une troisième fois sous le fallacieux prétexte de la soustraire à l'emprise d'un mari monstrueux. Elles lui indiquèrent la marche à suivre pour s'en libérer. « Allume une lampe à huile et cache la sous votre lit. Dissimule aussi un couteau. Lorsqu'il sera endormi, soulève la lampe pour le voir et tranche lui aussitôt la gorge avec le poignard. Ainsi, tu te libéreras de lui et nous nous occuperons ensuite de toi  », tel fut le conseil hypocrite et fielleux des deux sœurs. 

Ainsi fut fait. Psyché découvrit à la lueur de la lampe l'identité de son époux. Troublée et émue par tant de beauté, elle trembla et de l'huile brûlante tomba sur l'épaule du jeune dieu. Réveillé par la douleur, Eros se leva et sans un mot disparut.Il alla se réfugier chez sa mère Aphrodite qui décida de châtier elle-même l'impudente princesse.

Apprenant la réelle identité de leur beau-frère, les deux sœurs de Psyché tentèrent l'une après l'autre d'intercéder auprès de Zéphyr. Voulant rejoindre le palais merveilleux et s'offrir à Eros, elles se jetèrent du haut de la falaise mais la mort fut leur funeste sanction car le vent céleste ne  les retint pas dans leurs sauts.

Quant à Psyché, elle erra longtemps et sans succès, à la recherche de son époux. 

Aphrodite la fit venir à son palais céleste pour lui dire qu'elle avait soigné et enfermé son fils. 

Elle lui imposa ensuite une tâche monumentale. Il s'agissait de trier un énorme tas de sept graines mélangées au cours d'une seule journée. Incapable de venir à bout d'un tel ouvrage, Psyché s'assit et pleura. Prise en pitié par des fourmis, ces dernières entreprirent de l'aider. Elles trièrent laborieusement les semences et parvinrent à bout de l'épreuve . Lorsqu'Aphrodite  revint,elle  eut la surprise de trouver sept tas de graines bien rangés.

Persuadée que Psyché avait été aidée, elle décida de lui imposer une deuxième épreuve.

Il s'agissait de prendre une touffe de laine d'or sur le dos de moutons paissant dans un pré indiqué par la déesse. Les roseaux de la rivière eurent pitié de Psyché et l'invitèrent à être patiente. Il conviendrait d'attendre la sieste que les ovins faisaient à midi pour aller ramasser les brins de laine accrochés aux buissons.

La réussite de Psyché n'atténua en rien l'ire d'Aphrodite qui  lui infligea une troisième épreuve. Il s'agissait, cette fois, de remplir une coupe de cristal avec de l'eau de la source noire. Or, en arrivant devant cette source, Psyché découvrit que d'effroyables dragons en gardaient l'accès. Une fois de plus, sa peine et sa souffrance mobilisèrent un élan. Ce fut, cette fois, celui d'un aigle qui lui proposa son aide pour remplir le précieux récipient de cette eau qui tombe dans le royaume des morts.

Aphrodite n'en resta pas là, et imposa une ultime épreuve à Psyché. Elle lui donna une boîte à remplir d'un onguent préparé par Perséphone, déesse des enfers.Ce baume devait soigner les brûlures causées à Eros. Psyché chercha le plus court chemin pour se rendre au royaume des morts. Elle monta donc à une tour élevée, envisageant de se jeter dans le vide. Devant la profonde détresse de Psyché, les pierres froides de la tour s'éveillèrent et la conseillèrent.

Psyché devra partir avec deux gâteaux au miel dans la main et deux petites pièces d'argent dans sa bouche. Sur sa route, il ne faudra parler à personne.Elle entrera dans une grotte cachée dans des rochers noirs et traversera le sombre couloir menant aux Enfers. Elle devra jeter un gâteau à Cerbère, le chien à trois têtes pour qu'il la laisse passer . Parvenant au bord du Styx, elle laissera Charon prendre, lui même, une pièce dans sa bouche.Elle devra ignorer l'appel à l'aide d'un vieil homme flottant sur l'eau. Quand Perséphone aura remplir la boîte avec l'onguent,elle ne devra sous aucun prétexte l'ouvrir. Au retour, elle offrira sa deuxième pièce au rocher et jettera le second gâteau à Cerbère.

Psyché ayant scrupuleusement suivi tous les conseils de la tour, son voyage se termina bien. C'est alors qu'une irrépressible curiosité lui fit ouvrir la boîte. Or, point d'onguent à l'intérieur mais le sommeil de la mort.

Pendant ce temps, Eros, remis de ses blessures,cherchait son épouse partout. La trouvant inanimée sur le sol, il effaça soigneusement le sommeil de la mort et le remit dans la boîte .Il l'éveilla ensuite d'une flèche à l'épaule et la laissa poursuivre, seule, son chemin jusqu'à Aphrodite.

Malgré les supplications d'Eros, Aphrodite demeura inflexible. Il fallut l'intervention de Zeus pour que la déesse consente, enfin, à renoncer à son souhait de vengeance. Hermés fut ensuite chargé d'amener Psyché sur l'Olympe où il lui tendit une coupe de nectar divin pour la rendre immortelle. .Eros épousa Psyché et de leur union naquit une fille nommée Volupté.  

 

Trame de ce mythe et lecture psychologique

 

Ce mythe est composé de six parties : la présentation des trois personnages essentiels, à savoir Psyché, Eros et Aphrodite ;le mariage extraordinaire de Psyché qui pense être abandonnée à un monstre ; l'intervention des sœurs de Psyché ;la transgression de celle-ci ; les quatre épreuves décidées par Aphrodite et le dénouement heureux.

Le déroulement de cette histoire est similaire à celui que l'on retrouve dans bien des mythes ou des contes.Le héros comme l'héroïne doivent accomplir des tâches à valeur initiatique. Ces épreuves sont presque toujours au nombre de trois, voire quatre comme c'est le cas dans ce mythe, constituant ainsi une totalité symbolique.

De multiples superlatifs accompagnent Psyché au début de cette histoire : très belle, très attirante, très fascinante.

La dynamique compensatrice de l'inconscient va s'animer et conduire ainsi à une bascule complète de son existence. 

 C'est l'oracle consulté par son père qui fait office de premier pivot dans ce récit .Psyché doit être donnée en mariage à un sombre dragon. 

Toute la vie pulsionnelle est ainsi exprimée dans sa crudité,sa puissance et sa dimension possiblement mortifère.

Jusqu'à l'intervention de ses sœurs, Psyché va vivre des jours et des nuits paradisiaques, demeurant aveugle à la réalité de son union avec Eros. L'existence de la belle princesse s'écoule dans un état de participation mystique et de béatitude absolue.

Le fait que les sœurs soient au nombre de deux indique une mobilisation de l'énergie inconsciente.La position unilatérale de passivité bienheureuse de Psyché est remise en question par l'intrusion des deux sœurs.Le nombre deux symbolise l'accès à une dialectique conscient-inconconscient.

Les deux sœurs peuvent être interprétées comme figures d'ombre. A propos de cet archétype, Jung écrit que l'ombre doit être considérée comme « un contrepoison aux illusions idéalistes entretenues sur l'essence de l'homme »

La confrontation à la figure de l'ombre va amener Psyché à transgresser la promesse faite.

 Psyché s'était engagée à ne jamais chercher à  connaître l'identité de son mari. Les deux sœurs viennent déstabiliser sa vie ritualisée où son époux secret ne vient la rejoindre que la nuit.

L'opposition bête amant présente dans l'inconscient de Psyché pénètre dans sa conscience grâce à l'intervention de l'archétype de l'ombre porté par les figures des deux sœurs.

Voir Eros signifie que Psyché sort d'une position psychique passive et immature. Son acte a valeur de mise en relation de contenus psychiques inconscients avec sa conscience. 

Psyché découvre l'identité réelle de son époux. La sanction immédiate est qu'elle perd Eros.

Le sacrifice que constitue la perte d'Eros constitue le deuxième pivot essentiel de ce mythe.

Psyché sort d'une relation ourobourique où l'archaïcité la plus grande prévalait. Elle vivait dans un univers extraordinaire et paradisiaque.Pourtant, le sens de la vue était exclu de sa relation amoureuse. Psyché voyait les merveilles qui l'entouraient mais devait être aveugle le soir venu lorsqu'Eros la retrouvait.

Sa transgression lui ouvre les yeux et agit comme dans la bible lorsque Adam et Eve quittent le Paradis après que cette dernière ait mangé et fait manger la pomme interdite à son compagnon. En l'occurrence, il est porté à la conscience de Psyché qu' Eros est son mari.

A partir de cette prise de conscience induite par l'action transformatrice de l'ombre, Psyché va pouvoir entrer dans le processus de l'individuation.  

Aphrodite intervient ensuite comme figure de grande mère de vie.Elle donne à Psyché quatre épreuves initiatiques successives la menant ainsi à se transformer en profondeur, à passer d'un stade immature à un stade de femme adulte affirmant la complétude de son être et de son âme.  

Au cours de sa première épreuve, Psyché doit trier un amoncellement de sept graines mélangées. La tâche est impossible à réaliser sans l'aide d'industrieuses petites fourmis.

Les fourmis sont porteuses de l'énergie chtonienne archaïque de la terre. Cet insecte qui vit dans une colonie très organisée et laborieuse nous est bien connue depuis que Jean de la Fontaine l'a mise en scène dans la fable de « La cigale et la fourmi ». Elle s'est inscrite dans notre psychisme et nos références en matière de tri, de rangement et de ménage depuis lors.

Grâce à cette épreuve, Psyché va effectuer un tri. Les tas de graines sont au nombre de sept, or ce nombre est universellement investi. Sept correspond aux sept jours de la semaine. Pour les Égyptiens, il était symbole de vie éternelle. Sept indique le sens d'un changement après un cycle accompli.  

Au cours de sa deuxième épreuve, Psyché va devoir allier endurance et patience. La laine d'or du mouton que le héros doit aller chercher est un thème récurrent dans la mythologie. Jason, fier héros des Argonautes devra tout comme Psyché se soumettre à cette épreuve. Le mouton à la laine d'or est à concevoir comme le bélier, tel qu'il est symboliquement décrit dans l'astrologie, par exemple. Il symbolise la puissance de l'émergence des énergies printanières, la vitalité du renouveau. Psyché doit s'emparer de cette vitalité sans l'affronter. Cette énergie symbolise la capacité psychique à s'ériger pour commencer à affirmer la totalité de son être profond.

Au cours de sa troisième épreuve, Psyché doit remplir un vase avec de l'eau puisée dans le fleuve de la Vie. La tâche s'avère, une fois de plus, impossible sans une aide extérieure. En effet, comment Psyché pourrait-elle, cette fois, se confronter à des dragons ? C'est, cette fois, un aigle qui va intervenir pour aider Psyché à réaliser sa tâche. L'aigle est le roi des oiseaux Il accompagne et représente parfois même, les dieux comme les plus grands héros.Oiseau solaire, il est un principe spirituel universel. L'aigle, peut se confronter aux dragons sans les affronter. Il peut remplir le vase d'eau puisée dans le fleuve de la Vie, celui qui mène de la naissance à la mort. Deux puissants archétypes s'opposent dans cette épreuve. Il s'agit de l'aigle qui symbolise la spiritualité et les dragons qui représentent les forces chtoniennes .

L'eau de la Vie est la quintessence de la vitalité humaine . Les figures archétypiques de l'aigle et des dragons viennent manifester la nécessaire conjonction des opposés pour que la libido s'écoule comme sève vitale de la naissance à la mort.

Au cours de la quatrième et ultime épreuve, Psyché va devoir se rendre dans le royaume des Morts et des Enfers. Les conseils qu'elle reçoit pour s'y rendre sont ceux que tous les héros descendant chez Hadès et Perséphone entendent. Cerbère, le chien à trois têtes, Charon, le passeur du Styx, le mourant plaintif sont à chaque fois nommés et décrits dans leurs fonctions. La descente de Psyché symbolise la plongée qu'elle doit accomplir pour activer sa fonction transcendante, c'est-à-dire  mettre en relation sa conscience et les matériaux psychiques de l'inconscient.  La materia prima contient le meilleur comme le pire. La fascination , l'inflation sont les risques majeurs d'une confrontation aux archétypes. La vigilance la plus stricte doit être de mise pour que l'énergie psychique inconsciente soit source de transformations prospectives. L'humilité doit présider au maillage psychique qui œuvre à la conjonction des opposés et à la conduite du processus d'individuation.

Psyché s'acquiert avec courage de la quatrième et dernière tâche que lui a donnée Aphrodite.Sa transgression au sortir du royaume des Enfers témoigne de son humanité si perfectible ! Elle prend un risque majeur alors que son parcours initiatique touchait à sa fin. L'ouverture de la boîte contenant l'onguent met fin à ses jours. L'intervention d'Eros, dieu de l'Olympe est alors requise pour la ramener à la vie. 

C'est donc l'amour oblatif partagé par Psyché et Eros qui offre un caractère sacré de hieros gamos à leur union. La hiérogamie ( du Grec « hieros » qui signifie sacré et de «  gamos » qui signifie mariage, rapport sexuel) désigne une union sacrée à caractère sexuel le plus souvent entre deux divinités ou entre un dieu et une femme. C'est selon Jung, un des symboles universels de l'humanité qu'il décrit et révèle dans son livre « Métamorphoses de l'âme et ses symboles» 

La naissance de leur enfant, nommée Volupté parachève ce mythe. Cette enfant, fruit de leurs amours, dirait on, représente symboliquement l'accomplissement de leurs parcours initiatiques. Psyché qui était une jeune princesse accueillant béatement les bienfaits offerts par son existence est devenue une femme mâture et accomplie car elle a su dépasser toutes les épreuves et les sublimer. Eros, jeune dieu aux ordres de sa mère, la déesse Aphrodite, a su enfreindre les diktats de celle-ci. Il les a contournés pour l'amour de Psyché.Intervenanat pour sauver in extremis Psyché, il témoigne ainsi également de sa maturation. Eros affirme alors son choix totalement contraire aux volontés de sa mère. Le processus d'individuation est à l’œuvre pour chacun d'eux . De l'union de leurs masculin et féminin, est née Volupté, figure de totalité.  

 

Quelques illustrations

 

Louise :

Elle a neuf ans et est en très grandes difficultés et souffrance dans sa scolarité. De nombreux qualificatifs de « dys » lui sont appliqués : dyslexique, dysorthographique, dyscalculique pour lesquels Louise bénéficie d'un accompagnement scolaire personnalisé. Louise m'évoque une belle endormie qui ne semble pas s'être ancrée dans sa vitalité. Dès les premières séances, elle investit le jeu de sable. Elle va me proposer le jeu récurent suivant : hors de ma vue,elle dissimule dans le sable, des pièces et des billes puis me demande de l'aider à les retrouver, à les trier pour constituer des tas appariés selon des critères définis par elle. Au fil des séances, Louise s'anime, rit, jubile, s'avère de plus en plus organisatrice . Elle structure et définit les règles de son jeu de recherche et de tri des nombreuses pièces et billes . Dans le même temps, Louise semble s'éveiller à sa vie de pré-adolescente. Elle raconte des anecdotes la mettant en scène avec ses parents comme avec sa fratrie. Elle se met à prendre en charge son travail scolaire et verbalise de plus en plus ses envies, ses peurs. Le tri et la sériation des pièces et des billes symbolise le tri que Louise a amorcé psychiquement .

On peut aisément établir un lien métaphorique entre la première épreuve de Psyché qui consistait à trier sept sortes de graines mélangées.

 

Martin :  

Il a une cinquantaine d'années et avec son Q.I de 148, il cherche depuis toujours comment vivre sans trop d'anicroches avec ses alter egos. Dans sa vie personnelle comme dans sa vie professionnelle, Martin dit qu'il va toujours trop vite, trop loin, trop abruptement.  On le dit précoce, ou encore haut potentiel. Il se gausse de tous ces qualificatifs qui ne définissent en rien selon lui  la souffrance de sa vie affective. Après des mois de thérapie, il arrive un jour en séance, heureux d'une réunion professionnelle qui s'est plutôt bien déroulée. Le schéma habituel de catastrophe relationnelle s'est pourtant mis en place selon les critères habituels. Une fois de plus, un collègue ne comprenait pas la finalité de son raisonnement scientifique ainsi que les conclusions auxquelles il aboutissait. Martin a ressenti la colère qui le fait à chaque fois adopter une posture vécue par son entourage comme arrogante et méprisante. Et puis, un soupir est venu s'insinuer dans le rythme de son souffle. Martin n'a rien rétorqué et  il a mis en œuvre ce dont nous avions parlé à plusieurs reprises ensemble, à savoir prendre le temps de respirer amplement avant d'agir.Martin a su dompter son énergie et se mettre au diapason de celle de son collègue. Une synergie constructive avec des échanges, enfin de vrais échanges, a pu s'animer dans cette réunion. C'est la figure archétypale du mouton à la laine d'or qui fut activée dans la situation relatée par Martin.

 

Matheo :

Il a six ans  et a vécu les premières années de son existence dans une très grande insécurité psychique et somatique familiale. Mathéo se protège par la mise en place d'inhibitions multiples. Ses acquisitions scolaires sont très limitées . Ses relations amicales s'avèrent difficiles et réduites en nombre. Il présente un retard de langage important. Mathéo investit d'emblée l'espace de sa thérapie, se gardant toutefois bien d'approcher du jeu de sable. Ce médium malléable l'obligerait à se laisser aller à une régression psychique ce qui lui est impossible au début de sa thérapie. Les dessins qu'il va réaliser pendant des semaines sont porteurs de combats archaïques d'une violence effroyable. Des monstres, des géants s'affrontent sans répit. Je sors de nos séances, fatiguée, fortement bousculée émotionnellement et pourtant ma confiance en sa résilience n'est jamais altérée. Au bout de quelques mois, Mathéo se met à construire un espace entouré de hauts murs et installe au centre un trésor. Il m'explique ensuite que des soldats dragons sont postés tout autour de l'enceinte pour le garder. Il prend ensuite un aigle et me dit que lui seul peut aller chercher le trésor ! La troisième épreuve imposée à Psyché par Aphrodite est quasiment mise en scène par Mathéo. L'eau de vie y est remplacée par un trésor . Le moi de Mathéo  se relie à son soi.Sa vitalité fondamentale et sa croissance commencent à se libérer des lourdes défenses psychiques assurant le paradoxe de la protection mais aussi de l'inhibition de ses potentialités.

 

Le film «  La reine des neiges » :

Ce film d'animation librement inspiré du conte homonyme d'Andersen est sorti en 2013. C'est l'histoire de deux sœurs, Elsa et Anna . La première détient le terrible pouvoir de tout transformer  en glace et en neige. De façon dramatique et involontaire, ce don puissant  va mettre en péril la vie d'Anna. En effet, Elsa va la toucher au cœur ce qui va inexorablement la conduire  à être transformée en statue de glace. Pour contrecarrer l'avancée létale du sortilège,il n'existe qu'un seul remède: un geste d'amour sincère. L'intervention du prince charmant est alors une évidence tant il est celui qui toujours réveille les princesses endormies. Or dans cette histoire, Anna qui est sur le point de succomber, va donner son dernier souffle de vie pour sauver la vie d'Elsa. Elle va ainsi manifester un amour oblatif  pour sa sœur. 

Ce film a rencontré un succès sans précédent pour un film d'animation . La symbolique du don de soi par amour, en l'occurrence sororal, est un facteur expliquant grandement la popularité de ce film.

Le personnage d'Anna se sacrifie pour sauver sa sœur Elsa. C'est ce geste d'amour absolu qui va également la sauver. Anna comme Psyché font don de leurs vies et ainsi changent de plan de conscience et gagnent en maturité.  

 

Eros et Psyché, parcours initiatique intemporel

 

Psyché vient du mot grec «  psukhé » qui signifie âme et papillon. Pour les platoniciens, il  est question dans le mythe d'Eros et Psyché de la destinée de l'âme qui s'unit à l'amour pour atteindre la vie éternelle.

Jung a emprunté le terme d'archétype à la philosophie néo-platonicienne. Le mot archétype vient , quant à lui, du grec « archetupos » qui signifie type primitif, modèle. Les archétypes « ne sont nullement inventés , ils sont au contraire rencontrés en tant que formes typiques qui, spontanément et plus ou moins universellement, en dehors de toute tradition, apparaissent dans les mythes, les contes de fées, les fantasmes, les rêves, les visions et les productions délirantes » .

Au sein de la relation transférentielle,les archétypes agissent conjointement sur les psychismes du thérapeute  et du patient. Les images qui émergent alors, produisent des effets numineux et thérapeutiques. Le « numen » signifie une volonté, une injonction. La numinosité est cette  dimension très puissamment émotionnelle et spirituelle qui accompagne l'émergence de figures archétypales.

Le mythe d'Eros et Psyché fut écrit par Apulée au cours de l'Antiquité ( 125-v 180 après J C ).

 Ce mythe a traversé les siècles et donna lieu à de nombreuses œuvres .Pour en illustrer l'impact psychique sur la créativité de nombreux artistes, en voici un florilège non exhaustif : Les vitraux de la Galerie de Psyché au musée Condé du château de Chantilly réalisés entre 1542 et 1544 ; « Les amours de Psyché et Cupidon , récit de Jean de La Fontaine, écrits en 1669 ; la sculpture « Psyché réanimée par le baiser de l'amour » réalisée par Antonio Canova en 1793, exposée au musée du Louvre ;  «  Psyché », poème symphonique pour choeur et orchestre avec récitant de César Franck écrit en 1888.

Dans les thérapies de Louise, Martin et Mathéo, les épreuves de Psyché se retrouvent en filigranes, indiquant l'apparition de productions archaïques inconscientes. Ainsi , lorsque Mathéo construit des murs très hauts renforcés par la présence de soldats dragons, je me sens mise en état d'alerte percevant que nous avons changé de plan de conscience. Et quand, il prend un aigle m'expliquant que lui seul peut accéder au trésor, l'énergie mobilisée par cet enfant au détour de cette situation entre en écho avec ma propre énergie qui s'est gonflée d'émotion. La dimension numineuse de ce jeu nous relie tous les deux au mythe d'Eros et Psyché, lui même enraciné dans l'inconscient collectif.

Nos films actuels reprennent parfois de grands thèmes mythologiques. C'est ainsi le cas du film « La reine des neiges » que j'ai également choisi d'évoquer. L'archétype de l'amour oblatif  présent dans ce film toucha des millions de personnes à travers le monde. Il est rassurant qu'il puisse en être ainsi. 

 

Pour le 80ème anniversaire de Jung, W.Pauli écrivit : «  L'inconscient présente une certaine analogie avec le « champ » en physique, et tous deux entrent, de par leur nature, du fait d'un problème d'observation dans le domaine de l'irreprésentable et du paradoxe. [ ...]Les deux formulations se rencontrent dans la tendance à élargir la vieille idée restreinte de « causalité » déterministe en une forme plus générale de « relations » naturelles que suggère aussi le problème de la relation psychophysique. Ces vues me donnent à penser que les idées concernant l'inconscient ne vont pas poursuivre leur développement dans le seul cadre de leur application thérapeutique, mais qu'elles connaîtront une extension décisive par insertion dans le courant général de la science des phénomènes de la vie »

 

 

 

Pascale Mauchant-Renoult